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La
multiplication des violences homophobes au Sénégal depuis 2008 a forcé
des dizaines de MSM à se réfugier dans des villages isolés, voire à
s’exiler à l’étranger (photo d'archives)
DAKAR, 20 août 2009 (IRIN) - Décès, abandon de traitement,
suspension des efforts de prévention et recrudescence des comportements à
risque : bien qu’encore difficiles à évaluer, les effets du récent
regain de violence à l'encontre de la communauté MSM (Hommes ayant des
rapports sexuels avec d’autres hommes, en anglais) sur la propagation du
VIH au Sénégal commencent à se faire ressentir, ont averti plusieurs
acteurs de la lutte contre le sida.
Depuis février 2008, date de la publication dans la presse locale de
photos d’une cérémonie gay qui avait déclenché une véritable chasse à
l’homme dans tout le pays, les actes de violences et de répression à
l’encontre des membres de la communauté homosexuelle au Sénégal se sont
succédés.
En janvier 2009, neuf membres de la communauté gay, parmi lesquels
le responsable de l’association Aids Sénégal, ont été condamnés à huit
ans de prison pour « acte impudique et contre nature et association de
malfaiteurs », un mois après avoir été arrêtés dans une maison de la
banlieue de Dakar, sur dénonciation anonyme du voisinage.
Pour le docteur Ibra Ndoye, secrétaire exécutif du Conseil national
de lutte contre le VIH/SIDA, le CNLS, « il est encore trop tôt pour
mesurer l’impact quantitatif de ces événements sur la lutte contre le
VIH chez les MSM… mais si on reste muet… j’ai peur que l’épidémie ne
flambe ».
« On voudrait décourager la lutte contre le VIH qu’on ne s’y prendrait pas mieux » |
« Au moment de leur arrestation, [les neuf hommes] tenaient une
réunion de prévention sur le VIH », a noté Fatou Kine Camara, professeur
de droit à l’Université de Dakar et secrétaire général de l’association
sénégalaise des femmes juristes. « Cela a été considéré comme une
association de malfaiteurs. On voudrait décourager la lutte contre le
VIH qu’on ne s’y prendrait pas mieux ».
Sur le terrain, cette multiplication des violences, qui a forcé des
dizaines de MSM à se réfugier dans des villages isolés, voire à s’exiler
à l’étranger, commence à avoir des conséquences, parfois dramatiques,
notamment pour les personnes séropositives qui étaient sous
antirétroviraux (ARV) et que la fuite a contraint à interrompre leur
traitement.
« Un jeune homme [infecté au VIH] en est mort il y a deux mois », a
dit Cheikh Ibrahima Niang, anthropologue à l’Université de Dakar et
auteur de plusieurs études sur les MSM, et qui connaissait ce jeune
depuis 2000. « A l’époque, il refusait d’aller à l'hôpital par crainte
d’être stigmatisé. Il a récupéré. Il s’est construit. Et c’est cette
même personne qui, apeurée, a pris la fuite [lors des récentes
violences], sans possibilité de se procurer des ARV. Il en est mort ».
Des professionnels du corps médical, qui ont souhaité garder
l’anonymat, ont reconnu que leurs patients gays hésitaient aujourd’hui à
venir en consultation.
Retour à la clandestinité
Les neuf hommes condamnés en janvier ont été relâchés à l’issue de
leur procès en appel, en avril, suscitant de vives protestations de
plusieurs dizaines d'imams qui ont alors créé le Front islamique pour la
défense des valeurs éthiques, un groupe qui entend lutter contre « la
propagation de l’homosexualité dans la société sénégalaise », dans un
pays à plus de 90 pour cent musulman.
Ces événements, ajoutés à la profanation, quelques mois plus tôt, de
la tombe d’un jeune homme, par des villageois qui ne voulaient pas voir
un « homosexuel » enterré dans leur localité près de Djourbel, dans le
centre du pays, ont traumatisé encore un peu plus une communauté déjà
fortement affectée, et qui se sent aujourd’hui abandonnée.
« On croyait pourvoir faire confiance à nos partenaires, mais on se
rend compte que dès qu’il y a un problème, on est laissé à nous-mêmes »,
a dit le président d’une des associations sénégalaises de MSM, sous
couvert de l’anonymat. « Comment voulez vous qu’on lutte [contre le
sida] si c’est pour… risquer d’aller en prison à la moindre dénonciation
? On ne peut plus avoir confiance ».
Les activités de prévention ont d’ailleurs cessé depuis janvier. «
On nous dit que [ces activités] vont reprendre », a dit un pair
éducateur à Dakar. « Mais en attendant, on est encore plus marginalisés.
Nos espoirs sont anéantis ».
Outre le retour forcé à la clandestinité et, pour les acteurs
investis dans la lutte, l’incapacité d’effectuer leur travail de
sensibilisation, ces événements ont privé de nombreux membres de la
communauté de leur activité et donc de leurs revenus, poussant certains
d’entre eux à se tourner à nouveau vers des pratiques à risque VIH.
« Je n’ai plus de travail, donc plus d’argent, alors je suis
retourné sur Internet et je fréquente des amants qui me contactent... ça
me fait un peu d’argent », a dit Abou* à IRIN/PlusNews. « Personne ne
veut se prostituer, mais on n’a pas le choix ».
« Il
ne faut pas se faire d’illusions, si cette situation perdure, l’impact
sera catastrophique. C’est prouvé partout dans le monde : chaque fois
que nous renforçons la stigmatisation et la violence à l’égard d’un
groupe, la prévalence [du VIH] augmente » |
Pour M. Niang, « il ne faut pas se faire d’illusions, si cette
situation perdure, l’impact sera catastrophique. C’est prouvé partout
dans le monde : chaque fois que nous renforçons la stigmatisation et la
violence à l’égard d’un groupe, la prévalence [du VIH] augmente ».
Or si le taux de prévalence au VIH au sein de la population générale
au Sénégal a diminué au cours des dernières années pour s’établir à 0,7
pour cent, l’un des plus bas du continent africain, les MSM affichent
en revanche une prévalence de 21,8 pour cent, selon une étude menée en
2007.
Depuis 2005, le gouvernement sénégalais a reconnu la nécessité de
prendre en charge ce groupe vulnérable au VIH et l'a inclus dans son
programme national de lutte contre le sida. Les projets, financés
notamment par le
Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, doivent être mis en œuvre par le CNLS.
« L'expérience sénégalaise dans la lutte contre le VIH chez les MSM a
été un modèle… mais la chute est dure [avec cette] montée de
l’homophobie dans certaines franges de la société sénégalaise », a dit
M. Niang.
Chef de la division IST (infections sexuellement transmissibles)/VIH
au ministère de la Santé, le docteur Abdoulaye Sidibe Wade a préféré
relativiser la portée du récent déchaînement de violence. « Nous savons
d'expérience que ce genre d'événements est inhérent à la gestion des
groupes vulnérables, comme les MSM », a-t-il dit à IRIN/PlusNews.
« Cela perturbe tout notre travail, mais en même temps cela nous
rappelle qu’il y a une réalité sociale incontournable à laquelle nous
devons nous adapter pour que progressivement les choses puissent changer
».
L'homosexualité est officiellement interdite au Sénégal et passible,
selon le Code pénal, d'une peine allant d'un à cinq ans
d'emprisonnement et d’une amende de 100 000 à 1,5 million francs CFA
(215 à 3 220 dollars).
* Un nom d’emprunt
SOURCE: http://www.irinnews.org